À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.
Le 8 mars célèbre la femme, l’occasion d’évoquer des figures de femmes courageuses, capables des audaces les plus inouïes. Le polygraphe Plutarque passe en revue des archétypes ethnographiques féminins au travers d’anecdotes surprenantes. Voici celle qu’il raconte sur les femmes perses.
Πέρσας Ἀστυάγου βασιλέως καὶ Μήδων ἀποστήσας Κῦρος ἡττήθη μάχῃ· φεύγουσι δὲ τοῖς Πέρσαις εἰς τὴν πόλιν, ὀλίγον ἀπεχόντων συνεισπεσεῖν τῶν πολεμίων, ἀπήντησαν αἱ γυναῖκες πρὸ τῆς πόλεως καὶ τοὺς πέπλους ἐκ τῶν κάτω μερῶν ἐπάρασαι « ποῖ φέρεσθε » εἶπον, « ὦ κάκιστοι πάντων ἀνθρώπων; οὐ γὰρ ἐνταῦθά γε δύνασθε καταδῦναι φεύγοντες, ὅθεν ἐξεγένεσθε. » Ταύτην τὴν ὄψιν ἅμα καὶ τὴν φωνὴν αἰδεσθέντες οἱ Πέρσαι καὶ κακίσαντες ἑαυτοὺς ἀνεστρέψαντο καὶ συμβαλόντες ἐξ ἀρχῆς ἐτρέψαντο τοὺς πολεμίους.
Ἐκ τούτου κατέστη νόμος, εἰσελάσαντος βασιλέως εἰς τὴν πόλιν ἑκάστην γυναῖκα χρυσοῦν λαμβάνειν, Κύρου νομοθετήσαντος. Ὦχον δέ φασι, τά τ´ ἄλλα μοχθηρὸν καὶ φιλοκερδέστατον βασιλέων ὄντα, περικάμψαι τὴν πόλιν ἀεὶ καὶ μὴ παρελθεῖν ἀλλ´ ἀποστερῆσαι τῆς δωρεᾶς τὰς γυναῖκας. Ἀλέξανδρος δὲ καὶ δὶς εἰσῆλθε καὶ ταῖς κυούσαις διπλοῦν ἔδωκε.
Les Perses, à la sollicitation de Cyrus, déclarèrent la guerre à Astyage, roi des Mèdes. Ils furent battus et obligés de se retirer en désordre. Les ennemis étaient près d'entrer avec eux dans la ville, lorsque les femmes coururent à leur rencontre, et se découvrant le sein : « Où fuyez-vous, leur crièrent-elles, ô les plus lâches des hommes ? Prétendez-vous rentrer dans ce sein d'où vous êtes sortis ? » Cette vue et ces paroles firent sur eux une telle impression, que, honteux de leur lâcheté, ils font face à l'ennemi, recommencent le combat, et obligent les Mèdes à prendre la fuite.
Cyrus, à cette occasion, fit une loi qui portait que toutes les fois que le roi de Perse entrerait dans la ville, chaque femme recevrait une pièce d'or. On dit qu’Ochus, prince d'un naturel vicieux et d'une avarice sordide, évitait d'entrer dans la ville, et en faisait le tour afin de frustrer les femmes de cette rétribution. Alexandre, au contraire, y entra deux fois, et donna le double aux femmes grosses.
Plutarque, Vertus de femmes, 246a-b,
texte établi et traduit par J. Hani et R. Klaerr,
Paris, Les Belles Lettres, 1985
L’écrivain grec propose une galerie de portraits largement empruntés à l’ailleurs oriental (Amazones, Scythes, Perses…). Ces femmes entendent changer le cours de l’histoire avec les armes qu’elles ont.
L’anecdote de Plutarque a été peinte par l’Anversois Otto van Veen à la fin du XVIe s. dans un grand tableau singulier (qui est à l’origine de cette chronique) qui allie force et comique.
Les femmes y montrent, à droite, leurs attributs à leurs guerriers de maris qui, honteux (à gauche), s’en retournent au combat. Ce sont elles qui remportent la victoire. D’autres épisodes nous viennent à l’esprit. Dans un usage et une optique inverse, durant la guerre du Péloponnèse, Lysistrata avait convaincu les femmes d’Athènes, Kalonice, Myrrhine et Lampito, de faire la grève du sexe pour faire cesser la guerre (Aristophane, 411 av. notre ère). De même, juste après la fondation de Rome, les Sabines, enlevées par les Romains, s’interposent entre leurs maris et leurs frères ou pères (Tite-Live, Ier s. av. notre ère). Cette force d’âme se retrouve également chez Véturie, mère de Coriolan, sortie de Rome pour le supplier de cesser son attaque. Que l’on pense aussi à la dernière des Lagides, Cléopâtre, qui n’hésita pas à tenir tête (et de toute sa personne !) à César, Marc-Antoine et Octave, jusqu’au courage ultime de son suicide ! « Femme, femme, femme… »
Christelle Laizé et Philippe Guisard