Chroniques anachroniques – Gagner n’est pas tromper

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À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.

Qui dit compétition dit règles, partant fraudes et tricheries. L’actualité du sport contemporain est régulièrement émaillée d’incidents, de scandales et d’infractions aux règles et à l’éthique sportive. Les Anciens nous apprennent que la nature humaine n’a pas changé et que l’idéal sportif est malmené. À ce titre, Pausanias nous rapporte des faits de triche avérée et sanctionnée.

ἐν δὲ τῇ Ἄλτει τὰ μὲν τιμῇ τῇ ἐς τὸ θεῖον ἀνάκεινται, οἱ δὲ ἀνδριάντες τῶν νικώντων ἐν ἄθλου λόγῳ σφίσι καὶ οὗτοι δίδονται. τῶν μὲν δὴ ἀνδριάντων ποιησόμεθα καὶ ὕστερον μνήμην· ἐς δὲ τὰ ἀναθήματα ἡμῖν τραπήσεται πρότερα ὁ λόγος, τὰ ἀξιολογώτατα αὐτῶν ἐπερχομένοις. ἰόντι γὰρ ἐπὶ τὸ στάδιον τὴν ὁδὸν τὴν ἀπὸ τοῦ Μητρῴου, ἔστιν ἐν ἀριστερᾷ κατὰ τὸ πέρας τοῦ ὄρους τοῦ Κρονίου λίθου τε πρὸς αὐτῷ τῷ ὄρει κρηπὶς καὶ ἀναβασμοὶ δι´ αὐτῆς· πρὸς δὲ τῇ κρηπῖδι ἀγάλματα Διὸς ἀνάκειται χαλκᾶ. ταῦτα ἐποιήθη μὲν ἀπὸ χρημάτων ἐπιβληθείσης ἀθληταῖς ζημίας ὑβρίσασιν ἐς τὸν ἀγῶνα, καλοῦνται δὲ ὑπὸ τῶν ἐπιχωρίων Ζᾶνες. πρῶτοι δὲ ἀριθμὸν ἓξ ἐπὶ τῆς ὀγδόης ἔστησαν καὶ ἐνενηκοστῆς ὀλυμπιάδος· Εὔπωλος γὰρ Θεσσαλὸς χρήμασι διέφθειρε τοὺς ἐλθόντας τῶν πυκτῶν, Ἀγήτορα Ἀρκάδα καὶ Πρύτανιν Κυζικηνόν, σὺν δὲ αὐτοῖς καὶ Φορμίωνα Ἁλικαρνασσέα μὲν γένος, ὀλυμπιάδι δὲ τῇ πρὸ ταύτης κρατήσαντα. τοῦτο ἐξ ἀθλητῶν ἀδίκημα ἐς τὸν ἀγῶνα πρῶτον γενέσθαι λέγουσι, καὶ πρῶτοι χρήμασιν ἐζημιώθησαν ὑπὸ Ἠλείων Εὔπωλος καὶ οἱ δεξάμενοι δῶρα παρὰ Εὐπώλου. δύο μὲν δὴ ἐξ αὐτῶν ἔργα Κλέωνος Σικυωνίου· τὰ δὲ ἐφεξῆς τέσσαρα ὅστις ἐποίησεν, οὐκ ἴσμεν. τῶν δὲ ἀγαλμάτων τούτων παρέντι τρίτον τε ἐξ αὐτῶν καὶ τέταρτον, γεγραμμένα ἐλεγεῖά ἐστιν ἐπὶ τοῖς ἄλλοις. ἐθέλει δὲ τὸ μὲν πρῶτον τῶν ἐλεγείων δηλοῦν ὡς οὐ χρήμασιν ἀλλὰ ὠκύτητι τῶν ποδῶν καὶ ὑπὸ ἰσχύος σώματος Ὀλυμπικὴν ἔστιν εὑρέσθαι νίκην, τὸ δὲ ἐπὶ τῷ δευτέρῳ φησὶν ὡς τὸ ἄγαλμα ἕστηκε τιμῇ τε τῇ ἐς τὸ θεῖον καὶ ὑπὸ εὐσεβείας τῆς Ἠλείων καὶ ἀθληταῖς παρανομοῦσιν εἶναι δέος· πέμπτῳ δὲ καὶ ἕκτῳ, τῷ μέν ἐστιν ἡ τοῦ ἐπιγράμματος γνώμη τά τε ἄλλα ἐς ἔπαινον Ἠλείων καὶ οὐχ ἥκιστα ἐπὶ τῇ ζημίᾳ τῶν πυκτῶν, ἐπὶ δὲ τῷ ὑπολοίπῳ διδασκαλίαν πᾶσιν Ἕλλησιν εἶναι τὰ ἀγάλματα μηδένα ἐπὶ Ὀλυμπικῇ νίκῃ διδόναι χρήματα.

Dans l'Altis, parmi les divers monuments dont il est rempli, les uns sont faits en vue d'honorer les dieux, les autres se rapportent aux hommes, à qui l'honneur d'une statue tient lieu de récompense. Je parlerai des uns et des autres ; mais il faut commencer par ce qui regarde les dieux. En allant du temple de la mère des dieux au stade, quand on est au pied de la montagne de Saturne, on trouve sur la gauche une balustrade de pierre, d'où le terrain s'élève insensiblement jusqu'à la montagne, par des marches faites de main d'homme. Là sont placées six statues de Jupiter, qui toutes six sont de bronze, et qui ont été faites du produit des amendes auxquelles ont été condamnés des athlètes qui avaient usé de fraude et de supercherie pour remporter le prix aux jeux olympiques. Ces statues sont nommées en langage du pays les six Zanès : elles furent posées en la quatre-vingt-dix-huitième olympiade ; car ce fut en ce temps-là qu'Eupolus, thessalien, corrompit ceux qui se présentaient avec lui pour le combat du ceste ; savoir, Agétor, d'Arcadie ; Prytanis, de Cysique ; et Phormion, d'Halicarnasse, qui, l'olympiade précédente, avait été couronné. Ce sont les premiers, à ce que l'on dit, qui ont introduit la fraude dans les jeux olympiques, et les premiers aussi que les Éléens ont condamnés à l'amende : Eupolus pour avoir donné de l'argent, et les trois autres pour en avoir reçu. De ces six statues, Cléon de Sicyone en a fait deux ; les quatre autres, je ne sais de qui elles sont. La troisième et la quatrième n'ont point d'inscription ; aux autres il y a des vers élégiaques. Ceux de la première avertissent que le prix des jeux olympiques s'acquiert, non par argent, mais par légèreté des pieds et par la force du corps. Ceux de la seconde disent que la statue a été érigée à Jupiter par un motif de religion, et pour faire craindre aux athlètes la vengeance du dieu, s'ils osent violer les lois qui leur sont prescrites. L'inscription de la cinquième est un éloge des Éléens, surtout pour avoir noté d'infamie ceux qui avaient voulu tromper au combat du ceste. Les vers qui sont au bas de la sixième, disent que la consécration de ces statues avertit les Grecs que ce n'est pas par des largesses qu'il faut chercher à vaincre dans les combats institués en l'honneur de Jupiter Olympien.

Pausanias, Description de la Grèce, V,
texte établi et traduit par Michel Casevitz & Jean Pouilloux,
Paris, Les Belles Lettres, 2002

 

Outre les règles afférentes à chaque sport, les athlètes étaient tenus de prêter serment (les jeux étaient une cérémonie religieuse), ce que les jeux olympiques modernes ont conservé lors de la cérémonie d’ouverture. Les épreuves étaient encadrées par des « juges » qui disposaient de fonctions très étendues, assumées aujourd’hui par le Comité olympique, les juges et les arbitres. Lorsqu’ils officiaient, ils portaient des tuniques violettes spéciales, symbole de grandeur et de haute dignité. Le règlement était établi par une commission spéciale de législateurs  (nomographoi) qui travaillaient sous l’égide du gouvernement d’Élis. À chaque olympiade, ils formaient les juges pour qu’ils appliquent et interprètent correctement le règlement. Ils procédaient à toutes les vérifications et arbitrages (notamment vis-à-vis de la corruption devenue massive sous l’Empire). L’argent des amendes servaient à dresser des petites statues de Zeus (Zanes) sur lesquelles on gravait des vers édifiants (« C’est grâce à la vitesse de ses pieds ou à la force de son corps que l’on gagne, et non grâce à l’argent »). Cette « haie de déshonneur » était vue par les compétiteurs avant leur entrée dans le stade. Les sanctions étaient l’exclusion, l’amende et, surprenante dans le contexte de la Grèce, la flagellation, d’ordinaire réservée aux esclaves, mais appliquée, là, à des hommes libres.

Petite anecdote analogique : en 420 av. notre ère, Sparte fut exclue des jeux parce qu’elle était théoriquement en guerre contre Élis. Un éminent diplomate spartiate Lichas, dont le père avait été deux fois victorieux à la course de chars, aspirait tant à remporter une couronne qu’il enregistra un char sous une fausse identité en prenant un nom béotien. Victoire en poche, il défia le destin en allant réclamer son prix aux juges, ce qui exposa sa tricherie au grand jour et lui valut le fouet. À l’inverse, en 396 av. notre ère, des juges furent désavoués par le conseil olympique qui les mit à l’amende pour favoritisme, soulevant l’épineuse question de l’impartialité et de l’honnêteté des organisateurs.

Christelle Laizé et Philippe Guisard