Chroniques anachroniques – Les commodités de la conversation

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À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.

En ces temps de Saturnales, qu’il nous soit permis d’aborder un sujet bas : les latrines (foricae, toilettes collectives ou latrinae, toilettes individuelles). Les latrines de l’empire romain sont un espace archéologique bien identifié et étudié avec un sérieux insoupçonnable ! Dans notre société hygiéniste et pudique, les lieux d’aisance des Romains appartiennent pleinement à la vie publique, comme nous le rappelle Martial, avec son ironie acide.

In omnibus Vacerra quod conclauibus
consumit horas et die toto sedet,
cenaturit Vacerra, non cacaturit.

Vacerra passe des heures dans tous les lieux d’aisance et on l’y voit sur la selle toute la journée : Vacerra a envie de dîner, il n’a pas envie d’aller à la selle.

Martial, Épigrammes, XI, 77,
texte établi et traduit par H.-J. Izaac,
Paris, Les Belles Lettres, 2003

Quoi de plus saugrenu pour nous qu’une socialisation aux toilettes ! Dès la fin de la République, par souci de propreté (que l’on pense au Versailles du XVIIe empuanti par les déjections anarchiques !), Rome a développé tout un réseau de latrines : pas moins de 144 sont recensées dans le cœur de Rome. Si nous n’avons pas encore une idée précise de l’utilisation des lieux (mixité ? rôle des petites canalisations au pied des cuvettes ? Rôle du second trou ? Nombre de sièges ?…), en revanche, la disposition nous invite à clairement imaginer les utilisateurs en train de se soulager ensemble, la toge relevée, la culotte (subligaculum) baissée, et bavarder côte-à-côte ou de face, très simplement, sans gêne. Le sens de l’intime n’a de toute évidence pas les mêmes limites ! On peut également se demander si les Romains avaient conscience des risques sanitaires liés à l’accumulation d’excréments, aux odeurs (quid des parasites, des bactéries. Pas de papier toilettes mais un balai assorti d’une éponge…commune). Il faut dire que cette sociabilité méditerranéenne se vivait même dans de tels lieux (on a dénombré jusqu’à 80 sièges percés !) où l’on parlait politique, rumeurs, potins…Le soin apporté au décor (mosaïques, peintures) témoigne de l’importance d’un lieu qu’on fréquente volontiers et longuement.

Soucieux des rentrées d’argent pour l’État, Vespasien a su tirer profit d’une taxe sur l’urine collectée pour les teinturiers et destinée au nettoyage des étoffes. Pour intensifier la source de revenu, Vespasien a instauré des urinoirs publics, les vespasiennes. Moqué pour ce motif vil, il rétorqua, sans complexe :  pecunia non olet, « l’argent n’a pas d’odeur », maxime qui a fait fortune (et la fortune) des gens pas clean.

 

Christelle Laizé et Philippe Guisard

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