À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.
Au milieu d’un monde parcouru de conflits et de tensions, la période de trêve olympique s’est ouverte le 16 avril dernier à Olympie même, par la création solaire de la flamme, sur l’emplacement du temple d’Héra. Cette arrivée de la lumière céleste a été appelée à sillonner le globe jusqu’à sa destination finale, Paris. Portée par des milliers de relayeurs, la flamme olympique s’inspire d’une autre tradition grecque, sportive, les lampadéphories, évoquées par Hérodote à la faveur d’une comparaison avec les coursiers de l’Empire perse.
ταῦτά τε ἅμα Ξέρξης ἐποίεε καὶ ἔπεμπε ἐς Πέρσας ἀγγελέοντα τὴν παρεοῦσάν σφι συμφορήν. τούτων δὲ τῶν ἀγγέλων ἐστὶ οὐδὲν ὅ τι θᾶσσον παραγίνεται θνητὸν ἐόν· οὕτω τοῖσι Πέρσῃσι ἐξεύρηται τοῦτο. λέγουσι γὰρ ὡς ὁσέων ἂν ἡμερέων ᾖ ἡ πᾶσα ὁδός, τοσοῦτοι ἵπποι τε καὶ ἄνδρες διεστᾶσι κατὰ ἡμερησίην ὁδὸν ἑκάστην ἵππος τε καὶ ἀνὴρ τεταγμένος· τοὺς οὔτε νιφετός, οὐκ ὄμβρος, οὐ καῦμα, οὐ νὺξ ἔργει μὴ οὐ κατανύσαι τὸν προκείμενον αὐτῷ δρόμον τὴν ταχίστην. ὁ μὲν δὴ πρῶτος δραμὼν παραδιδοῖ τὰ ἐντεταλμένα τῷ δευτέρῳ, ὁ δὲ δεύτερος τῷ τρίτῳ· τὸ δὲ ἐνθεῦτεν ἤδη κατ᾽ ἄλλον καὶ ἄλλον διεξέρχεται παραδιδόμενα, κατά περ ἐν Ἕλλησι ἡ λαμπαδηφορίη τὴν τῷ Ἡφαίστῳ ἐπιτελέουσι.
En même temps que Xerxès agissait de la sorte, il envoyait chez les Perses un messager pour y annoncer leur présente infortune. Il n’est pas d’être mortel qui parvienne où il veut aller plus vite que ces messagers ; tel est ce qu’ont imaginé les Perses. Autant que comporte de journées l’ensemble de la route, autant, dit-on, de chevaux et d’hommes y sont disposés à intervalles, un cheval et un homme pour chaque étape d’une journée ; et ni la neige ni la pluie ni la chaleur ni la nuit n’empêche que chacun accomplisse à toute vitesse la course qui lui incombe ; le premier courrier remet au second les messages dont il est chargé, le second au troisième, et ainsi de suite ils arrivent au but en passant de l’un à l’autre, comme chez les Grecs le flambeau quand a lieu la course des porteurs de flambeau qu’on célèbre en l’honneur d’Héphaïstos.
Hérodote, Histoires, VIII, 98,
texte établi et traduit par Ph.-E. Legrand,
Paris, les Belles Lettres, 1953
Les lampadéphories ou lampadédromies étaient des courses célébrant le culte du feu (à Athènes, il y en avait trois, l’une pour Prométhée, une autre pour Héphaïstos et la dernière pour Athéna. Après Marathon, les Athéniens en ajoutent une quatrième en l’honneur du dieu Pan). Les coureurs, répartis de manière égale entre des équipes concurrentes, étaient espacés de façon à pouvoir se relayer sur autant de files parallèles qu’il y avait d’équipes. L’équipe victorieuse était celle dont le flambeau passant de main en main mais sans s’éteindre arrivait le premier au but. Cette compétition alliait à la fois vitesse et adresse (comme la course des garçons de café !). Ces courses deviennent parfois individuelles et non plus collectives, faisant aussi intervenir des cavaliers, voire des enfants.
Si les jeux olympiques modernes ont récupéré cette course antique pour allumer la vasque lors des jeux d’Amsterdam de 1928, c’est un théoricien allemand du sport, Carl Diem qui a ressuscité le principe du relais de la flamme de Grèce jusqu’à la ville hôte, lors des jeux olympiques de Berlin en 1936. Le mystère reste toujours épais autour de la personnalité du dernier relayeur qui doit incarner le sport, les valeurs de l’olympisme. Il n’en faut pas moins pour cet instant mystique et magique qui émerveille encore notre modernité. Ce feu sacré remet un peu de paganisme dans une célébration humaniste.
Christelle Laizé et Philippe Guisard