À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.
La bombance des fêtes de fin d’année se poursuit, au grand dam des régimes, avec la traditionnelle galette frangipanée qui finit d’achever les estomacs. Ce moment saturnal crée une tête couronnée du moment (et même deux !), parfois au prix d’un délicat jeu de diplomatie de la table. D’où vient cette féérie des mages orientaux, que l’on fait approcher de la crèche et qui finissent dans nos assiettes ? Pourtant, le point de départ n’est qu’une simple et unique mention dans l’Évangile de Mathieu.
Τοῦ δὲ Ἰησοῦ γεννηθέντος ἐν Βηθλέεµμ τῆς Ἰουδαίας ἐν ἡµμέραις Ἡρῴδου τοῦ βασιλέως, ἰδοὺ μάγοι ἀπὸ ἀνατολῶν παρεγένοντο εἰς Ἱεροσόλυμα λέγοντες· Ποῦ ἐστιν ὁ τεχθεὶς βασιλεὺς τῶν Ἰουδαίων; εἴδομεν γὰρ αὐτοῦ τὸν ἀστέρα ἐν τῇ ἀνατολῇ, καὶ ἤλθομεν προσκυνῆσαι αὐτῷ. Ἀκοὺσας δὲ ὁ βασιλεὺς Ἡρῴδης ἐταράχθη, καὶ πᾶσα Ἰεροσόλυμα μετ ̓ αὐτοῦ, καὶ συναγαγὼν πάντας τοὺς ἀρχιερεῖς καὶ γραμματεῖς τοῦ λαοῦ ἐπυνθάνετο παρ ̓ αὐτῶν ποῦ ὁ Χριστὸς γεννᾶται. οἱ δὲ εἶπον αὐτῷ· Ἐν Βηθλεὲμ τῆς Ἰουδαίας· οὕτως γὰρ γέγραπται διὰ τοῦ προφήτου· Καὶ σὺ Βηθλεέμ, γῆ Ἰούδα, οὐδαμῶς ἐλαχίστη εἶ ἐν τοῖς ἡγεμόσιν Ἰούδα· ἐκ σοῦ γὰρ ἐξελεύσεται ἡγούμενος, ὅστις ποιμανεῖ τὸν λαόν μου τὸν Ἰσραήλ. Τότε Ἡρῴδης λάθρᾳ καλέσας τοὺς μάγους ἠκρίβωσεν παρ ̓ αὐτῶν τὸν χρόνον τοῦ φαινομένου ἀστέρος, καὶ πέμψας αὐτοὺς εἰς Βηθλεὲμ εἶπεν∙ Πορευθέντες ἀκριβῶς ἐξετάσατε περὶ τοῦ παιδίου· ἐπὰν δέ εὕρητε, ἀπαγγείλατέ μοι, ὅπως κἀγὼ ἐλθὼν προσκυνήσω αὐτῷ. οἱ δὲ ἀκούσαντες τοῦ βασιλέως ἐπορεύθησαν· καὶ ἰδοὺ ὁ ἀστὴρ ὃν εἶδον ἐν τῇ ἀνατολῇ προῆγεν αὐτούς, ἕως ἐλθὼν ἔστη ἐπάνω οὗ ἦν τὸ παιδίον. ἰδόντες δὲ τὸν ἀστέρα ἐχάρησαν χαρὰν μεγάλην σφόδρα. καὶ ἐλθόντες εἰς τὴν οἰκίαν εἶδον τὸ παιδίον μετὰ Μαρίας τῆς μητρὸς αὐτοῦ, καὶ πεσόντες προσεκύνησαν αὐτῷ, καὶ ἀνοίξαντες τοὺς θησαυροὺς αὐτῶν προσήνεγκαν αὐτῷ δῶρα, χρυσὸν καὶ λίβανον καὶ σμύρναν. καὶ χρηματισθέντες κατ ̓ ὄναρ, μὴ ἀνακάμψαι πρὸς Ἡρῴδην, δι ̓ ἄλλης ὁδοῦ ἀνεχώώρησαν εἰς τὴν χώραν αὐτῶν.
Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus lui rendre hommage. » À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé et tout Jérusalem avec lui. Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s’enquit auprès d’eux du lieu où le Messie devait naître. « À Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c’est ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple. » Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l’époque à laquelle l’astre apparaissait, et les envoya à Bethléem en disant : « allez-vous renseigner avec précision sur l’enfant ; et, quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j’aille lui rendre hommage. » Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à l’Orient, avançait devant eux jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant. À la vue de l’astre, ils éprouvèrent une très grande joie. Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.
Mathieu, 2, 1-12, Traduction œcuménique de la Bible, Société biblique française, Paris, 2004
Fixée au 6 janvier, la célébration de cette fête de l’epiphaneia (de phanein, « apparaître ») manifeste au monde le Fils du Dieu chrétien. Saint Augustin écrit que « le Rédempteur de tous les peuples, en se manifestant aujourd’hui, a fait de ce jour une fête solennelle pour toutes les nations de la Terre ». L’Épiphanie avait la même motivation en Orient que Noël en Occident : combattre en s’y substituant les manifestations païennes du solstice d’hiver. Grâce à un texte de l’historien Ammien-Marcellin, cette fête est mentionnée pour la première fois en 361, étonnamment, sous l’empereur Julien dit l’Apostat. Le sens de cette fête varie néanmoins selon les confessions : tandis que l’Église d’Orient célébrait, à l’origine, à la fois la naissance et le baptême du Christ et que la liturgie byzantine évoquait simultanément la Naissance, les anges, l’étoile, les Mages etc., l’Occident, en adoptant la fête de Noël au IVe s., distinguait les deux fêtes et transféra sur l’Épiphanie l’adoration des Mages.
Si Mathieu est le seul à évoquer laconiquement leur visite (ils sont riches et viennent d’Orient), c’est l’un des Pères de l’Église, Origène (au IIIe s.), qui suppose qu’ils étaient trois portant chacun un présent (or, encens, myrrhe), comme les trois âges de la vie, représentant les trois continents connus à l’époque (Europe, Afrique, Asie). Quant à leurs noms, Melchior, Gaspard et Balthazar, ils apparaissent pour la première fois dans un Évangile apocryphe. Il faut attendre le XIIIe s. et la Légende dorée de Jacques de Voragine pour leur description, qui se répandra dans l’iconographie occidentale. Mais le prototype des Rois Mages remonterait bien plus haut que l’Évangile de Mathieu, selon l’égyptologue C. Desroches Noblecourt : la façade du temple d’Abou-Simbel met en effet en scène la représentation de Ramsès-Horakhty (« Horus de l’horizon ») portant le disque solaire et une frise montrant des personnages arrivant de l’étranger, presque des pèlerins, libres et dignes, pacifiques et respectueux, tournés vers le grand sanctuaire pour la célébration du mystère dont ils ont été avertis, avec une table d’offrandes placée devant chacun d’eux. Ce serait une préfiguration unique et lointaine de nos Rois Mages, guidés par l’étoile miraculeuse Sothis.
Pour revenir à des considérations plus sucrées, notre fameuse galette ou brioche (moins riche), est une tradition française datant du XIVe s.
Christelle Laizé et Philippe Guisard