Tribune libre à Pascal Charvet à propos des nouvelles filières

Média :
Image :
Texte :

 

A l’heure où de nombreux adolescents et leurs parents font leurs choix, revenons sur ses implications sur les langues anciennes, avec Pascal Charvet, Inspecteur général honoraire et auteur en 2018 avec David Bauduin du rapport "Les Humanités au coeur de l'école".

 
I. Quelle est la situation actuelle? 

Nous sommes dans la relance d’une dynamique, après des années de plomb. Certes on peut exercer sa critique sur ce qui n’est pas encore abouti dans toutes les académies. Si je prends l’exemple de l’Académie d’AIX-Marseille, les options facultatives comme celles de spécialités sont largement présentes et permettent aux parents un choix intéressant. Quelle est la situation aujourd’hui des options facultatives, avec une "discrimination positive “ accordée par le Ministre Jean Michel Blanquer qui s’est engagé fortement en faveur des humanités. Cette "discrimination positive" permet la multiplication par trois des points au dessus de la moyenne en latin et en grec au baccalauréat. Nous assistons également à la création d’options de spécialité latin et grec ou latin ou grec Littérature et Langues et Cultures de l’Antiquité, avec quatre heures d’enseignement en première et six heures en Terminale. A l’heure actuelle, nous n’avons pas encore toutes les remontées : même si la situation dans certaines académies reste à améliorer, elle est déjà bien meilleure que la situation précédente où contrairement à ce que certain écrivent les options de spécialité latin et grec existaient déjà , mais atteignaient péniblement une quarantaine d'élèves en grec en 2018 sur toute la France et un peu plus en Latin. Le nouvel enseignement Littérature, Langues et Cultures de l’Antiquité pensé avec les associations comme la CNARELA ainsi qu’avec les professeurs, les Inspecteurs et les universitaires vise à retrouver un public que nous n’avions plus et ainsi à s’inscrire dans la dynamique voulue par le Ministre, par les parents, les élèves et la communauté enseignante. L’ambition est de donner dans cet enseignement toute sa place aux humanités à la fois par la langue et la culture dans la formation générale des élèves afin de les conduire aussi bien vers des formations littéraires que des formations scientifiques ou de sciences politiques ou économiques. 

II. Qu’est-ce que l’enseignement proposé va changer?

 L'enseignement de spécialité Littérature et Langues et cultures de l’Antiquité (LLCA) est la grande nouveauté des programmes du Lycée 2018. Radicalement différent de l’ancienne option de spécialité LCA, cet enseignement est innovant tant par ses contenus que par la didactique mise en œuvre et le public visé :

- Il s’adresse à un public beaucoup plus large qu’auparavant: tout public intéressé par les humanités et les lettres classiques ou modernes. La confrontation des auteurs et des œuvres antiques avec les auteurs et les œuvres françaises modernes ou contemporaines est le ressort même de sa didactique: il s’agit non pas de rajeunir naïvement la civilisation antique en la rendant identique à la nôtre, mais de revisiter les modes de vie et de pensée des Anciens afin d’en percevoir les différences et les analogies à la lumière de notre modernité. Au baccalauréat, c'est, pour le français, une œuvre moderne ou contemporaine et une oeuvre latine qui est mise en regard avec elle. Pour le grec, il en va de même. On pourra ainsi confronter par exemple les Carmina de Catulle et les Poèmes d’amour à Lou d’Apollinaire.

- Pour accompagner cette innovation, deux majeures sont créées pour le baccalauréat: l’une«langue », l’autre«culture ». Pour la « majeure langue », un minimum de connaissance culturelle (5 points sur 20) est demandé ainsi que la connaissance des grands concepts clefs (civis, politès, phusis par exemple, 3 points sur 20). Réciproquement pour la « majeure culture », un minimum de connaissance linguistique est demandé, ainsi que l’appropriation des grands concepts clefs de la culture humaniste. Les élèves choisissent au moment de l’examen. 

  La « majeure langue» permet, grâce à une pédagogie différenciée et à des pratiques renouvelées de traduction, un développement plus poussé des compétences linguistiques et s’adresse aux élèves qui veulent poursuivre des études littéraires, ou de linguistique ou se diriger vers les ENS, l’École des Chartes ou vers l’archéologie. La « majeure culture »s’adresse à ceux qui veulent poursuivre des études vers les sciences politiques ou économiques ou encore scientifiques, car elle contribue plus que toute autre à une formation générale littéraire humaniste de qualité, telle que la plébiscitent les élèves qui s’interrogent sur la société, l’homme, le politique, les choix de civilisation, le monde et les grands enjeux contemporains et telle que la réclament les prépas, les Universités, les Instituts d’études politiques et les grandes Écoles.

Les contenus des nouveaux programmes LLCA ont été conçus pour répondre de manière précise à cette demande de formation générale littéraire humaniste, au croisement de la littérature, des arts (théâtre, cinéma, histoire de l’art) de l’histoire et de l’anthropologie. Ces croisements, qui s’enrichissent à chaque fois des rencontres et des dialogues qu’ils génèrent, définissent ainsi un espace dynamique où s’approfondit la compréhension des grands enjeux du monde contemporain. Je tiens à rappeler que conformément aux voeux du Ministre l'’enseignement de spécialité LLCA s’intègre naturellement à tout projet d’enseignement visant la construction d’une culture humaniste moderne et apporte une plus-value évidente aux établissements qui la choisiront dès cette année.

III. Pourquoi Humanités et LCA sont divisés ? 

Bien évidemment, c’est l’intention du Ministre de faire une large part aux Humanités. L’un "Littérature, Langues et Cultures de l’Antiquité" s’adresse à des élèves qui travaillent à la fois sur la la langue et sur la culture. L’autre "Humanités, Littérature et Philosophie s’adresse à des élèves qui ne pratiquent pas nécessairement la langue latine ou grecque. Ces deux enseignements se complètent de manière naturelle et conforme à l’esprit des humanités car l'une des leçons de la littérature antique est que les genres n’y étaient pas encore définis séparément, que la philosophie et la littérature étaient confondues comme aussi l’histoire et la littérature. Nous croyons plus que jamais à l’unité du savoir, du moins à l’égale dignité des savoirs et à la nécessité de l’échange entre les eux. 

IV. Quel est but du ministère? Quel est le rôle des chefs d’établissement et celui des enseignants ?

Contrairement à ce que d’aucuns peuvent écrire, le but du Ministère est d'abord d’offrir aux élèves comme dans les autres pays européens, en particulier l’Allemagne, la possibilité de choisir eux mêmes la combinaison des modules qu’ils entendent suivre pour créer leur propre parcours de formation au Lycée après la classe de seconde. Aujourd’hui près de 65% des étudiants échouent à l’Université au bout de quatre ans. Le chiffre est trop important pour parler de "tâtonnements, voire de frétillements” à l’université, surtout si on le compare à celui des autres pays européens. Mais surtout ce sont les lycéens les moins initiés aux codes de l’enseignement supérieur qui en souffrent. Il s’agit là d’une profonde inégalité sociale. Apprendre aux élèves à construire leur parcours déjà au Lycée est indispensable et surtout un parcours qui intègre les Humanités dans les deux volets proposés dans le cadre du nouveau Lycée. Rendre plus responsables les lycéens me paraît plus intéressant que les infantiliser Les chefs d’établissement et les enseignants soutiennent cette approche. Les nombreuses conférences ou tables rondes auxquelles j’ai récemment participé le confirment nettement. Leur responsabilité et celle des enseignants est cruciale car c’est à eux de développer la dynamique initiée. La complexité à laquelle nous sommes confrontés réside dans le fait que l’étude des humanités est désormais confrontée à ce Tout Monde, ainsi que le nomme Édouard Glissant, ce Tout monde transfiguré parun vaste métissage dont la dynamique est accélérée par les échanges numériques, où les cultures et les imaginaires se télescopent et s’interpénètrent. Pour la première fois, les cultures humaines sont entièrement et simultanément mises en contact et en effervescence. Quelle place se demande chacun pour les humanités dans ce Tout Monde ? Le ministre Jean-Michel Blanquer est convaincu qu'il y avait une sous-utilisation énorme du potentiel qu’elles représentent pour la formation individuelle. Et il a mis en œuvre une politique, volontariste et à long terme qui commence à porter ses fruits. Les Humanités, et particulièrement le latin et le grec, dans notre système éducatif où l’école se doit d’être un lieu « démocratique » de formation intellectuelle et de qualification sociale, sont en effet un « foyer » d’apprentissage qui donne un cadre et une cohérence globale à l’éducation, conçue comme une initiation culturelle aux codes, aux savoirs et aux pratiques. Les Humanités l’étude de la langue et de la culture grecque et latins sont en mesure de donner à tous les élèves, pour une intégration réussie, les codes indispensables. Elles sont un instrument efficace afin que les les élèves comprennent et approfondissent leur relation à la langue au savoir et au monde. 

Dans la même chronique