Plantages, intuitions malheureuses et autres fausses bonnes idées de nos illustres ancêtres.
Les loups pensaient être tranquilles dans cette forêt obscure où personne, d’ordinaire, ne s’aventure. Aujourd’hui pourtant, un bruissement inhabituel fait trembler les branches basses des chênes. C’est un homme. Il avance d’un pas rapide et confiant. Arrivé au seuil de la vieillesse, le grand Milon de Crotone, fils de Diotimos, légende vivante des Jeux d’Olympie, vainqueur couronné des épreuves du pugilat et du pancrace, a encore toute sa sève. Plus jeune, il portait sans effort un veau à bout de bras. Il brisait une grenade d’une simple pression de la main. Il lui suffisait de retenir son souffle pour gonfler ses veines et déchirer une corde dont il se ceignait le front. Et que dire de son appétit insatiable ? On prétend qu’un jour, après avoir porté un taureau sur une distance d’un stade, il l’assomma d’un coup de poing et le mangea tout entier. « Tout ça, je le refais sans problème ! », pense le vieil homme. Et il entend bien le prouver… tiens, avec ce tronc d’arbre qu’on a commencé à fendre. « Je vais finir le travail en moins de deux ! »
Milon plonge hardiment les mains dans la fente et entreprend de séparer les deux parties de la souche. Mais l’idée, qui paraissait bonne de prime abord, n’est peut-être pas si judicieuse. Le surhomme, qui n’en est finalement pas un, sent ses forces décroître. Il se cabre, gonfle sa poitrine, essaie de se dégager, en vain : l’arbre était plus fort. Le voilà pris au piège.
Quelques contractions plus tard…
Les loups, qui pensaient être tranquilles, firent finalement un festin... digne de Milon !
Ups ! Id iterum faciebam
Strabon, Géographie, VI, 1, 12
Aulu-Gelle, Nuits Attiques, XV, 16