Saisir à chaque fois en quelques lignes une des innombrables contradictions du temps présent, aller en elle la faire parler de nous, s’y aidant par contraste d’une possible… « survie des classiques » ! — et le tout, banalement, dans le double respect des Lumières (la raison seule permettant de croire sans violence) et de la poésie (seule capable, au fond, de débusquer — quand il faut — la violence de la raison même).
Simone Weil soutient ceci : la vie humaine est impossible, mais seul le malheur nous le fait ordinairement sentir. Selon elle, le malheur (souffrance, misère, abandon, divers tocsins et comptes à rebours) nous révèle l’incompatibilité entre humanité et vie. Humanité, c’est en effet (ou ce devrait être) douceur, compréhension, tolérance et finesse ; or la vie — le destin organique —, consistant en se nourrir, se défendre, se compromettre, signifie l’opposé : dureté, égoïsme, intransigeance et grossièreté.
Mais l’idée vaut aussi pour la raison inverse : si la littérature — bénévolat grandiose des récits, essais et métaphores —, nous fait également sentir cette impossibilité de la vie humaine, — c’est en montrant, non pas lugubrement que la vie n’est pas humaine, mais ardemment que l’humanité n’est pas d’abord faite pour vivre ; elle est bien plutôt faite pour jouer, se souvenir, deviner, toréer l’infortune : l’homme fait plus que vivre, ou meurt.
M. W.