Saisir à chaque fois en quelques lignes une des innombrables contradictions du temps présent, aller en elle la faire parler de nous, s’y aidant par contraste d’une possible… « survie des classiques » ! — et le tout, banalement, dans le double respect des Lumières (la raison seule permettant de croire sans violence) et de la poésie (seule capable, au fond, de débusquer — quand il faut — la violence de la raison même).
Mon voisin Hervé, songeant à sa peu évitable mort, peine pourtant à « renseigner » le formulaire de l’AMDD qu’il vient de télécharger. « C’est surtout la fin qui est difficile à remplir » me dit-il sans rire. Je m’en enquiers.
« Il y a trois parties dans leur satané fichier : quand ? comment ? pourquoi ? » m’explique-t-il, fâché. « Quand, je sais : je n’avancerai plus qu’en âge, j’aurai l’avenir aussi mince qu’un passé de nourrisson, je serai si usé que je ne pourrai plus rien apprivoiser – et surtout pas le rien ! Ce sera ça, le moment ». J’entends. « Comment, j’ai coché : les appareils à débrancher, les traitements à abréger, les défaillances à ignorer, et même les pansements à ne plus renouveler : l’attirail du harcèlement thérapeutique est ainsi parcouru, et biffé. Toute l’encre à me fournir sera la goutte de mon paraphe d’abdication. Mais le pourquoi m’arrête, voisin. Il n’y a pas d’item correspondant au clair sentiment que j’ai : mes raisons de continuer à vivre seront à jamais ridicules quand détresse et souffrance feront de mourir un moindre mal. Que faut-il faire ? »
« Ecrivez » lui dis-je, « qu’on vous aide nettement à conclure ce que vous ne pourrez plus développer, l’intimité ne risquant pas de survivre à la conscience ».