Saisir à chaque fois en quelques lignes une des innombrables contradictions du temps présent, aller en elle la faire parler de nous, s’y aidant par contraste d’une possible… « survie des classiques » ! — et le tout, banalement, dans le double respect des Lumières (la raison seule permettant de croire sans violence) et de la poésie (seule capable, au fond, de débusquer — quand il faut — la violence de la raison même).
Mon voisin Hervé a l'été taquin; il veut comprendre comment l'on peut être poète, alors même que « l'on paierait en vain des gens pour simplement assister à une simple lecture de recueil ». Je lui donne « Survivance de la neige », d'Ida Jaroschek[1], une poétesse de l'Hérault qui me touche et m'intrigue, - et j'attends sa franche impression de lecture.
Elle vient vite. « Ce que je ne saisis pas m'indiffère » dit-il, « mais ce que j'en devine m'exaspère, comme, tenez : Je vais route ouverte dans le jour éventré, ou ton visage se précise de disparaître, ou des doigts au bout des doigts, ou je glisse une main dans ton sommeil, ou un pas après l'infranchissable. Ce qui est dit ici, qu'on voit bien, est inutile ou impossible. D'ailleurs votre amie Ida semble elle-même, demandant à quoi bon fouiller le brouillard à mains nues, convenir de l'échec !
« Hervé » lui dis-je, « la poésie est le seul courage d'une voix ; elle est le seul rêve ayant des mains ; la seule traduction parfaite du sensible au sensible par un sentant qui parle ; elle est le langage qui - là où la vie est arrêtée, là où la communauté s'abolit - bondit, passe et part se retrouver pour nous dans l'inaccessible. Et ce poète est de plus une femme, qui connaît, dans l'intime, le tarif (réel, charnel) de toute prise de forme, disposant en elle d'une matrice pré-verbale, et ... ».
« Vous débloquez sévèrement, voisin » me dit Hervé, « mais je vais la relire ce soir ; à bientôt ».
[1] Editions Encre et lumière, Cannes et Clairan, 2013.