Saisir à chaque fois en quelques lignes une des innombrables contradictions du temps présent, aller en elle la faire parler de nous, s’y aidant par contraste d’une possible… « survie des classiques » ! — et le tout, banalement, dans le double respect des Lumières (la raison seule permettant de croire sans violence) et de la poésie (seule capable, au fond, de débusquer — quand il faut — la violence de la raison même).
Pierre, pas revu depuis trente ans, m’a soudain dit : « Il n’y a chez toi qu’un changement, mais radical : tu as cessé de mentir ». J’ai confirmé. Il a voulu savoir comment, pourquoi et jusqu’à quand.
Comment, je sais : en obtenant de la bonne foi ce que je croyais pouvoir n’obtenir que du mensonge. L’escroc, le tyran, le dealer deviennent plus habiles pour mieux tarifer la mort, mais l’effort d’intelligence à fournir pour devenir honnête rend en amont la sincérité moins monotone, en aval la paix avec soi moins accidentelle.
Pourquoi, je devine : je n’ai plus à mentir par politesse à de susceptibles proches désormais morts ou gâteux ; j’ai (devenu moins intéressant à parasiter, moins drôle à détruire) peu d’ennemis dont détourner la malveillance ; je n’ai rien à cacher de transgressions que je n’ai plus l’allant de mettre en œuvre.
Reste jusqu’à quand : la maîtrise de la tromperie m’avait prématurément vieilli. Celle de l’authenticité m’arrive trop tard pour espérer en rajeunir ; et si je dois mourir dans un monde de menteurs, sincèrement, tant pis pour nous.