Saisir à chaque fois en quelques lignes une des innombrables contradictions du temps présent, aller en elle la faire parler de nous, s’y aidant par contraste d’une possible… « survie des classiques » ! — et le tout, banalement, dans le double respect des Lumières (la raison seule permettant de croire sans violence) et de la poésie (seule capable, au fond, de débusquer — quand il faut — la violence de la raison même).
Alain Monnier* — homme doué, séduisant et chanceux — se demande ce qu’il aurait vécu s’il ne l’avait pas été, ou ce qui arrive dès qu’on naît ou grandit sans les moyens de faire bien l’homme ; dans un génial personnage : Barthélémy PARPOT.
Homme solitaire (« l’humanité, c’est les autres »), résigné (« je sais que l’heure de renverser le cours des choses est passée »), indécis (« moi, je ne suis pas très fort pour savoir ce que je veux »), Parpot a le harcèlement naïf, la niaiserie extra-lucide, la sainteté prosaïque.
Cancéreux, de sa chambre 203, s’écrivant postalement à lui-même (pour pouvoir espérer aller mieux, ou avoir changé d’avis et d’humeur, à réception), attendant la dame en noir (« le plus terrible, c’est que je ne vais pas savoir quoi lui dire »), observateur infaillible (« la fin d’après-midi est l’heure où les gens qui ne sont pas malades quittent l’hôpital »), déclinant tout au-delà (« moi, personnellement, j’espère qu’il n’y a rien du tout après la mort sinon ça va encore faire des histoires et des jalousies »), Barthélémy – soudain entouré, par la baroque magie de l’hospitalisation, des femmes variées, ambigües et décisives dont toute sa vie a rêvé — saisit qu’on n’est clairvoyant que par hasard ou malentendu : entre l’inéluctable (« la mort me regarde droit dans les yeux même quand je tourne la tête ») et l’impossible (« trouver le remède qui rend heureux sans effet secondaire »), Monnier a, pour nous, la prodigieuse bonté d’appuyer là où ça pourrait ne plus faire mal.
* À votre santé Monsieur Parpot ! (Flammarion 2015)