Saisir à chaque fois en quelques lignes une des innombrables contradictions du temps présent, aller en elle la faire parler de nous, s’y aidant par contraste d’une possible… « survie des classiques » ! — et le tout, banalement, dans le double respect des Lumières (la raison seule permettant de croire sans violence) et de la poésie (seule capable, au fond, de débusquer — quand il faut — la violence de la raison même).
Les deux petits-enfants d’Hervé passent l’après-midi, affublés de masques divers, à nous railler et épouvanter à travers la haie. Je me plains (« Que votre engeance aille s’entraîner ailleurs pour Halloween, bon sang ! ») de leurs aigus glapissements.
Il soupire : « Je viens de lire, voisin, un livre* à ce sujet superbe, et leur autorise Carabosse, singes et tigres, Donald, les citrouilles, Zorro et le Capitaine Crochet en désespoir de cause » me dit-il étrangement, « car des masques grecs voudraient transfigurer une fatalité que nos bambins repus ignorent ; des africains rameuter une tripotée d’ancêtres qui encombrent leur portable ou dont ils n’ont que faire ; des médiévaux casquer leur face d’un dérisoire rembourrage de forteresse. Et puis, si j’interdisais leur cartonnade de fantaisie, ils se feraient bientôt tatouer les joues ! ». « Mais vos petits-mouflets nous rendent fous » dis-je !
Il sait. « Voyez bien : la folie est justement ce masque qu’on ne peut plus ôter, comme l’imagination prise à son propre piège. Le masque divers, libre, facétieux, amovible, est la meilleure prévention à la démence vraie, l’auto-envoûtement, l’ankylose des grimaces, l’encagement dans l’égarement. Tolérez-nous donc, voisin, aidez-moi ». Ses mots me touchent et je lui serre la main dans le lierre.
* « Les masques » de Georges BURAUD, 1948, réédition « Encre Marine », 2014