Saisir à chaque fois en quelques lignes une des innombrables contradictions du temps présent, aller en elle la faire parler de nous, s’y aidant par contraste d’une possible… « survie des classiques » ! — et le tout, banalement, dans le double respect des Lumières (la raison seule permettant de croire sans violence) et de la poésie (seule capable, au fond, de débusquer — quand il faut — la violence de la raison même).
Hervé s’est levé ce matin du bon pied, celui qui crochète, qui botte, qui tue la fourmilière.
« Vous n’agissez jamais, voisin » me dit-il, « — vous écrivez, vous riez, vous lisez, vous criez, vous commentez, mais vous ne produisez aucun changement réel — comment voulez-vous donc être à l’heure des choses, entrer dans ce qui arrive, équilibrer votre rapport au monde, bref : être en passe d’être heureux ?!! »
J’en conviens aisément.
« Et même quand vous agissez, — vous prenez votre break, vous vous soignez, vous visitez votre mère, vous arrosez vos pistachiers, vous défilez contre le ministre — il n’y a pas de travail. Même pour déplacer une cuisinière, vous semblez pousser (ou tirer) par pensée. Et si vous êtes constamment debout, et en mouvement, ce n’est que pour secouer vos idées, faire garder la ligne à vos pensées (à vos malheureuses petites précieuses pensées !!) »
J’en suis aussi d’accord.
« Mais il y a pire : c’est que, pensant sans cesse, vous retardez toujours l’occasion de vous dénuder un peu la vie et le moment de cesser de mentir ; je vous entends, là-bas dedans, voisin, n’arrêter jamais de vous justifier, de vous regarder les raisons, de hisser sur scène vos lugubres coulisses. Même votre haineuse modestie n’est qu’un tapage fait pour se dénoncer, un simple vacarme d’humilité ! N’étant, par ce bavardage incessant, jamais en situation de désespérer, votre vie évite le vide qui seul sonne vrai ».
« Qu’avez-vous donc contre la pensée, voisin ? » lui dis-je, souriant.
« Elle est chez vous comme l’ironie du sort : » me dit-il « un orage éclairant un naufrage ».