Saisir à chaque fois en quelques lignes une des innombrables contradictions du temps présent, aller en elle la faire parler de nous, s’y aidant par contraste d’une possible… « survie des classiques » ! — et le tout, banalement, dans le double respect des Lumières (la raison seule permettant de croire sans violence) et de la poésie (seule capable, au fond, de débusquer — quand il faut — la violence de la raison même).
Biographie* sans faute, donc, d’un échec sans appel ! Vincent la Soudière s’avouait piètre masochiste (« puissent de nouvelles souffrances fouetter l’abruti qui se vautre en moi »), martyr en chambre (« je ne sais plus quoi faire pour me distraire de mon enfer »), ne s’invectivant (« escroc du gouffre », « héros du pire » ...) que pour retomber dans son besoin de tomber !
Sylvia Massias, sa lucide et fraternelle biographe, en voit profondément la source : par sa simple conscience de la mort, dit-elle p.405, tout homme « est à lui-même sa propre tombe ». Elle résume les tourments chrétiens de Vincent (comment n’être pas suicidaire en imitant la destinée du Christ ? Comment éviter, malheureux, de mettre à l’épreuve le Dieu d’amour ? Comment, à se compter parmi « les lâchés de l’absolu », ne pas se méfier de lui ?) ainsi : « l’échelle mystique ne se monte pas, elle se descend » (p. 455). C’est que l’Amour n’est juge exclusif que sans appel : l’âme s’évalue selon l’ordre de justice qui la condamne, — l’humilité lui interdisant de s’en prévaloir !
Mais la leçon vient : cette écriture à même une non-vie, s’extirpant peu « de la grouillante poubelle qui nous enfanta », révèle, du fond de sa « geôle entropique », qu’être, c’est se trouver « toujours mal réveillé du Néant ». Cet homme, si attachant, resté (le plus longtemps possible, avant de se jeter d’un pont parisien) « dans la vie par obéissance », « apatride de l’Être », trouve la paix dans l’auto-désenvoûtement inespéré de cette géniale biographie.
* « Vincent La Soudière, la passion de l’abîme » (Cerf, 2015)