La parrhèsia, c’est étymologiquement « tout dire », ce qui ne signifie pas pour autant se percevoir comme le détenteur de la vérité. Le parrhésiaste est celui qui s’engage dans ce qu’il croit être le vrai, sans craindre d’affronter les préjugés, de perturber le confort nécessairement éphémère que créent les idées reçues. Le but de cette chronique n’est pas de provoquer pour le plaisir stérile de provoquer, mais d’établir un dialogue exigeant avec tous ceux que la crise actuelle des lettres classiques inquiète profondément, tous ceux qui ne croient pas qu’il suffise d'attendre benoîtement que de très hypothétiques vaches grasses succèdent à de très réelles vaches squelettiques, tous ceux qui savent que dans le domaine réputé minuscule des humanités se joue aussi le sort de notre culture.
Il faut rendre cette justice à nos Ministres et Secrétaires d’État, de toutes les couleurs politiques, qu’ils ont toujours veillé à ce que notre système d’éducation fût le plus opaque possible. Allez donc expliquer à un collègue mexicain ou australien la relation entre les CPGE et les Universités ! Après 1968, la multiplication des Universités, pour la plupart de grosses Facultés, contribua beaucoup à renforcer l’obscurité. Pour avoir, des années durant, dû subir la question « Paris XII, c’est bien Villetaneuse ? » de la part de collègues centro-parisiens qui n’avaient jamais mis les pieds ni à Villetaneuse ni à Créteil, je peux témoigner de l’efficacité de ce système d’occultation. Mais, en haut lieu, il y avait certainement des gens pour regretter que l’inintelligibilité restât encore bien imparfaite. Récemment, un épais rideau d’Idex et de Labex, se superposant à la fine toile des E. A. et des UMR, vint opportunément réduire les quelques zones rémanentes de visibilité. Malheureusement, il restait encore, par ci, par là, quelques recoins où l’usager moyen pouvait y comprendre quelque chose. Enfin la Comue vint, installant l’obscurité absolue, puisque seuls ceux qui ont passé quelques décennies dans les cabinets ministériels ou à la CPU savent de quoi il s’agit, un savoir qu’ils partagent bien chichement. Qu’est-ce dont qu’une Comue ? Rien d’autre que la version postmoderne de la mythique Chimère. Un corps de chèvre, pardon une Faculté des Lettres, un Institut de Staps, substitut de la tête de lion, une queue de dragon ou une École vétérinaire, et vous avez une Comue. À quoi sert donc la Comue ? Essentiellement à tenter d’associer des gens qui ne veulent pas surtout pas s’unir. Dans la longue série des usines à gaz que le monde entier est censé nous envier, la Comue représente une perfection insurpassable. Ayant visité beaucoup d’Universités de par le monde, j’ai toujours été consterné par la monotonie de leur structures : des Facultés divisées en Départements, quel manque d’imagination, quelle tristesse ! À défaut de Rafales, ne pourrions-nous pas leur vendre notre chatoyant concept ? Des Comues, c’est des Comues qu’il leur faut !
C. L.