Cette chronique raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque. Hommage à l’ancêtre du Gaffiot, l’imprimeur Robert Estienne est le premier invité des Amis de Guillaume Budé. Sa devise : « Noli altum sapere, sed time », c’est-à-dire « ne t’élève point par orgueil, mais crains ».
Aujourd’hui s’ouvre la deuxième saison des « amis de Guillaume Budé » !
Jacques Lefèvre d’Étaples est l’invité d’honneur de ces nouvelles chroniques pour plusieurs raisons : celles du cœur, tout d’abord, nous invitent à signaler que cet ami de Guillaume Budé est aussi celui de Robert Estienne, celles de la raison nous présentent un humaniste auteur d’une grammaire latine, commentateur et éditeur de Platon et Aristote, pédagogue et professeur, défenseur de la langue française, etc. Nos prochaines chroniques permettront de découvrir les différentes facettes de cet homme méconnu aujourd’hui, mais figure éminente de l’humanisme.
Portrait de Jacques Lefèvre d’Étaples, en latin Jacobus Faber Stapulensis. Source : Bibliothèque nationale de France – Gallica. |
Amis des classiques, faisons maintenant connaissance avec Jacques Lefèvre d’Étaples. Il est né dans les années 1450-1455 et nous ne savons rien de sa famille et de son enfance. Son nom nous apprend cependant qu’il vient d’Étaples, port du Pas-de-Calais, au sud de Boulogne-sur-Mer. Comme aujourd’hui, Lefèvre est un nom fréquent à l’époque, c’est pourquoi Jacques Lefèvre accole à son nom « d’Étaples », en latin « Stapulensis ». Jacobus Faber Stapulensis sera donc son nom d’humaniste.
Si nous n’avons pas d’informations sur la famille Lefèvre, nous pouvons cependant supposer qu’elle était aisée. Jacques Lefèvre a, en effet, bénéficié des cours de l’Université de Paris et, en outre, il reçut un héritage à la mort de ses parents, qu’il laissa à ses frères ou neveux.
Arrivé vers 1474 à Paris, Jacques Lefèvre d’Étaples étudia notamment la grammaire au collège Boncour, puis la logique, la théologie et la philosophie au collège du cardinal Lemoine. Ce parcours comprenait aussi des matières comme la physique, la musique, la rhétorique et la versification. En 1479, l’étudiant est bachelier ès Arts. Il poursuit ses études et devient licencié, puis maître ès Arts.
Lefèvre d’Étaples reste au collège du cardinal Lemoine après ses études en devenant professeur. Cependant il ne cesse d’apprendre : il suit des cours de grec et voyage en Italie. « Elle était, à ce moment, le foyer de rayonnement de la pensée antique » (Introduction aux Hécatonomies, traduction latine de Lefèvre d’Étaples du texte de Platon, éditions Vrin, 1979, p. 10). Grâce à ses voyages, Jacques Lefèvre « donna une impulsion nouvelle aux études et aux méthodes » du collège du cardinal Lemoine, « dans les domaines de la littérature et de la philosophie » (Hécatonomies, p. 13-14).
Ayant découvert des traductions latines des textes d’Aristote, Jacques Lefèvre d’Étaples entreprend de les publier et de les commenter en les « débarrassant des gloses tant sales » –comme le dit Rabelais – qui surchargent les textes antiques depuis le Moyen Âge. « Le souci philosophique s’accompagnait chez Lefèvre du souci de la vie chrétienne. » (Hécatonomies, p. 22) Les travaux de l’humaniste vont bientôt passer de l’aristotélisme à la Bible.
Quoique très célèbre théologien, Jacques Lefèvre d’Étaples nous intéressera ici pour son travail sur les textes antiques et non pour son apport à l’évangélisme. Source : Universitätsbibliothek Basel – e-rara.ch. |
En 1507, il quitte son poste pour rejoindre Guillaume Briçonnet (1470-1543) à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Briçonnet lui confie la bibliothèque. C’est à cette époque que Lefèvre traduit des textes bibliques dans la mouvance évangélique (une réforme catholique qui s’attache aux textes bibliques).
Portrait du cardinal Guillaume Briçonnet. Source : Bibliothèque Sainte-Geneviève – Archive.org. |
Guillaume Briçonnet devient évêque de Meaux en 1518 et il nommera, en 1523, Jacques Lefèvre d’Étaples vicaire général afin qu’il diffuse l’évangélisme dans son diocèse. Mais ces idées sont mal vues au moment où se diffusent aussi celles de Luther. Le groupe de Meaux est accusé d’hérésie, et, par précaution, Jacques Lefèvre s’exile à Strasbourg.
Il sera rappelé par le roi François Ier en 1526, lors du retour en France de celui-ci. Il lui confie sa bibliothèque de Blois et l’éducation de ses enfants : Charles et Madeleine. Au début des années 1530, c’est Marguerite de Navarre, la sœur de François Ier, qui appelle Jacques Lefèvre d’Étaples près d’elle à sa cour de Nérac, où il mourut en 1536.
Portrait de François Ier (1494-1547), roi de France, par Jean Clouet (vers 1530). Source : Musée du Louvre – Panorama de l’art. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowskizoom |
Portrait de Marguerite de Navarre (1492-1549), par Jean Clouet (vers 1527). Source : Walker Art Gallery. |
Maintenant que les présentations sont faites, amis des classiques, vous êtes invités à découvrir les premiers cours de grec donnés en France (et suivis par Jacques Lefèvre d’Étaples) dans la prochaine chronique. « Pour profiter à tous, de quelque condition que soient. »