Cette chronique raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque. Hommage à l’ancêtre du Gaffiot, l’imprimeur Robert Estienne est le premier invité des Amis de Guillaume Budé. Sa devise : « Noli altum sapere, sed time », c’est-à-dire « ne t’élève point par orgueil, mais crains ».
Nous avons vu dans la chronique précédente la place de Térence dans les imprimés de latin de Robert Estienne. Un autre auteur a une grande place dans son catalogue : Cicéron, en latin Marcus Tullius Cicero (106 - 43 avant J.-C.). Antoine-Augustin Renouard, auteur des Annales de l’imprimerie des Estienne (1843), précise que « les Catalogues de Robert enregistrent un certain nombre de livrets sans date, et surtout des Oraisons de Cicéron, imprimés en petits cahiers séparés, pour les jeunes étudiants, ainsi qu’il s’est toujours pratiqué depuis. […] Ces diverses pièces n’avaient sans doute ni intitulé ni date, ce qu’il serait peu utile et probablement impossible de constater, les livrets d’écoliers étant condamnés à périr successivement dans les jeunes mains qui en font usage, et ces Oraisons et parties séparées de Cicéron n’ayant dû inspirer à personne l’idée d’en former de très imparfaits recueils. »
Voici une sélection, en quelques dates, de titres de Cicéron « ex officina Roberti Stephani » précieusement conservés encore aujourd’hui.
1526. Le premier ouvrage de Cicéron proposé par Robert Estienne est : Ciceronis Epistolarum ad familiares libri XVI. Une seconde édition de ces « épîtres aux familiers » paraît en 1530, suivie d’une troisième en 1534. En 1540, paraît une édition commentée : M. Tullii Ciceronis Epistolarum ad familiares cum Petri Victorii suarum in easdem castigationum explicationibus. Piero Vettori (1499-1585) a préparé l’édition des ouvres complètes de Cicéron publiées dans les années 1530 à Venise par les Giunti, grande famille d’imprimeurs-libraires. Robert Estienne associe donc le commentaire de cet humaniste aux épîtres de Cicéron. Par la suite, c’est l’imprimeur lyonnais Sébastien Gryphe qui éditera les Opera omnia de Cicéron éditées par Piero Vettori.
Page de titre de la seconde édition des M. T. Ciceronis Epistolarum ad familiares libri XVI. Source : Bibliothèque municipale de Lyon (Rés 380994) - books.google.fr. |
Page de titre de l’édition de 1538 des M. Tullii Ciceronis Epistolae par Robert Estienne. Il s’agit d’un des quatre volumes in-folio rassemblant les œuvres de Cicéron et formant - d’après Renouard - une « des plus remarquables » éditions par Robert Estienne. Source : Bibliothèque municipale de Lyon (Rés 30771) - books.google.fr. |
Page de titre d’une édition des œuvres de Cicéron commentée par Piero Vettori (1539). Ce volume est le premier tome de l’édition in-folio citée ci-dessus. Source : Bibliothèque municipale de Lyon (Rés 30771) - books.google.fr. |
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1527. L’année suivante, Robert Estienne édite : Ciceronis Oratoriae partitiones & De optimo genere oratorum. Il s’agit donc de deux traités de rhétorique : Divisions de l'art oratoire et Du meilleur genre d’orateurs. Cet ouvrage est réimprimé en 1528 et en 1530. En 1528, Robert Estienne imprime aussi Georgii Vallae Commentaria In Ciceronis Partitiones, etc. Giorgio Valla (1447-1500) est un humaniste italien. Ses commentaires sur les Oratoriae partitiones seront publiés à nouveau en 1533 et 1547. En 1537, les Oratoriae partitiones sont intégrées à un recueil de rhétorique : Ciceronis Rhetoricorum libri de inventione. Topica. Partitiones oratoriae. Les premières éditions citées sont des in-octavo, alors que celle-ci est de format in-16. On a un in-octavo quand la feuille imprimée est pliée trois fois : on obtient alors un cahier de seize pages (ou huit feuillets). La feuille format le cahier du format in-16 a été pliée une fois de plus que l’in-octavo. En pliant quatre fois la page, on forme un cahier de seize feuillets, soit trente-deux pages. L’indication in-octavo ou in-16 ne précise pas tout à fait la dimension de l’ouvrage (qui est déterminée par la taille de la feuille), mais le nombre de feuillets que comprend chaque cahier du livre. La feuille nécessaire à l’édition in-folio citée précédemment n’a été pliée qu’une seule fois. 1536. Robert Estienne publie les Catilinaires dont un exemplaire est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque municipale de Lyon. Page de titre des Catilinaires (1536). Source : Bibliothèque municipale de Lyon (Rés 343895(4)) - books.google.fr. |
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1543. Cette année-là Robert Estienne commence l’impression des œuvres de Cicéron en neuf volumes. « Cette estimable édition est la première dans laquelle Robert Estienne ait fait usage de son bel italique, exécuté à l'imitation de celui d'Alde », c’est-à-dire de celui d’Alde Manuce, imprimeur italien. Comparons alors une édition en romain et cette édition en italique. A gauche, une page des Catilinaires (1536). Source : Bibliothèque municipale de Lyon (Rés 343895(4)) - books.google.fr. A droite, une page de l’édition de 1543 des Opera. Source : collections of National Central Library of Rome - Archive.org. |
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Renouard précise que cette « édition portative […] vint mettre les lecteurs français à même de trouver à Paris, et avec moins de dépense, l’équivalent des in-8 en caractères italiques dont les Manuce de Venise étaient depuis un demi-siècle en possession d’approvisionner le monde savant. […] pour son édition [Robert Estienne] sut aussi faire un judicieux usage des travaux cicéroniens de Paul Manuce dont il employa les savantes scholies. Cet in-8 servit aussitôt de copie pour la jolie édition in-16 de Simon de Colines », imprimeur qui a épousé la mère de Robert Estienne. Avec ou sans h, la scholie est une note philologique ou historique due à un commentateur ancien, servant à l'interprétation d'un texte de l'Antiquité. Page de titre de l’édition de 1543 des Opera. Source : collections of National Central Library of Rome - Archive.org. |
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La prochaine fois, nous explorerons le catalogue grec de Robert Estienne. « Noli altum sapere, sed time ».