Cette chronique raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque. Hommage à l’ancêtre du Gaffiot, l’imprimeur Robert Estienne est le premier invité des Amis de Guillaume Budé. Sa devise : « Noli altum sapere, sed time », c’est-à-dire « ne t’élève point par orgueil, mais crains ».
L’humaniste et théologien protestant Théodore de Bèze (1519-1605) fait paraître à Genève ses Icones (1580), un recueil de portraits. L’ouvrage, écrit en latin, est traduit et édité en français dès l’année suivante : Les vrais portraits des hommes illustres en piété et doctrine, du travail desquels Dieu s'est servi en ces derniers temps, pour remettre sus la vraie Religion en divers pays de la Chrétienté. Théodore de Bèze fait figurer Jacques Lefèvre d’Étaples dans la cinquième partie de son ouvrage, consacrée aux « illustres Français : aucuns desquels ont remis sus l’étude des bonnes lettres, les autres ont rétabli la vraie Religion en France ». Ces deux critères conviennent parfaitement à Lefèvre d’Étaples.
« Vraiment la providence de Dieu est admirable : car qui eût estimé qu’un seul homme de peu d’apparence eût pu chasser la barbarie hors de la plus fameuse université du monde, en laquelle, par l’espace de beaucoup d’années, elle reposait sûrement ? Si est-ce que Jacques Lefèvre, personnage de petite maison, et d’un lieu peu renommé (à savoir d’Étaples, port de mer non fréquenté en Picardie) mais au demeurant, l’un des plus nobles hommes de la terre, si l’on considère son érudition, sa piété, sa générosité, et, ce qui est le plus émerveillable, ayant été nourri et élevé au milieu de la barbarie même : celui-ci, dis-je, est venu à bout d’une si haute entreprise, et a fait déloger l’ignorance. Car c’est lui qui de vive voix, et par très-doctes écrits, a remis sus en l’université de Paris la vraie logique d’Aristote, et les Mathématiques, au lieu de la Sophisterie qui y régnait auparavant. Après cela, s’étant mis à revoir et corriger la translation vulgaire du nouveau Testament, et à rétablir en quelque sorte la vraie Religion, il tomba si profond en l’indignation de quelques barbares Matæologiens, qui déshonoraient le collège de Sorbonne, qu’à peine put-il se sauver par un volontaire bannissement, hors de leurs mains sanglantes. Toutefois alors son innocence le garantit, mais principalement la requête qu’en fît cette illustre Princesse Marguerite de Valois Reine de Navarre à son frère le Roi François premier : et depuis il se retira dedans Nérac ville appartenant à cette Princesse, où il vécut longtemps, avec un grand témoignage de sa piété et modestie incroyable : ayant obtenu cette faveur de Dieu, que plusieurs notables personnages sortirent de son école, comme anciennement les meilleurs orateurs partaient de l’écoles d’Isocrates. » |
Illustration 1 : Portrait latin de Iacobus Faber par Théodore de Bèze dans ses Icones (1580). Source : Université de Mannheim. |
Illustration 2 : Portrait de Jacques Lefèvre d’Étaples dans les Vrais Portraits des hommes illustres (1581). C’est le même portrait que celui utilisé dans les Icones. Source : Les Bibliothèques Virtuelles Humanistes. |
Illustration 3 : Traduction du portrait par Théodore de Bèze. Source : Les Bibliothèques Virtuelles Humanistes. |
Tout en utilisant une orthographe moderne, nous avons laissé le vocabulaire utilisé par Simon Goulart, le traducteur de Théodore de Bèze. Si le mot « émerveillable » fait sourire, on le comprend bien. En revanche qui sont les « barbares Matæologiens » ? Au sens étymologique, la matéologie est un discours, des propos dépourvus de raison. C’est également une recherche vaine dans un domaine de haut niveau, et c’est ce sens qui est retenu pour définir le matéologien comme un chercheur vain et vaniteux. Dans la prochaine chronique, nous poursuivrons notre lecture des Vrais Portraits des hommes illustres. Bèze évoque en effet un certain nombre de figures connues de la rubrique « les Amis de Guillaume Budé » : Robert Estienne, Érasme et Guillaume Budé notamment. « Pour profiter à tous, de quelque condition que soient. » |
Illustration 4 : Le texte français est suivi d’un poème. Source : Les Bibliothèques Virtuelles Humanistes. |