Priape & Vénus – Les attributs des prostituées

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Jeune femme passionnée par la Rome antique, j’ai développé, au cours de mes études et au fil de diverses conférences et lectures, un intérêt grandissant pour la sexualité des Romains. Comment le sexe était-il perçu, pratiqué ou évoqué par nos ancêtres ? Voilà l’objectif de cette chronique qui tentera d’expliquer le présent par le passé.

Combien de femmes n’ont pas entendu de remarques sexistes ou vulgaires concernant leur tenue vestimentaire, que ce soit en journée ou en soirée ? Beaucoup trop, sans aucun doute. Bien souvent adressées par des hommes frustrés de ne pas recevoir l’attention qu’ils estiment mériter. On peut citer la phrase : « Tu as vu comment tu es habillée ? » ou encore « Tu es habillée comme une prostituée ». Cette réflexion désobligeante sexualise et dénigre les femmes. Elle assimile un vêtement, une tenue au sexe. Et à une sexualité honteuse, en vérité. Le raccourci est rapidement fait entre l’habit et l’activité sexuelle, entre la tenue et les mœurs. Une tenue peut nous transformer en objet sexuel pour certains hommes qui vont penser que la manière dont on s’habille est un message qui leur est adressé.

De nos jours, les codes vestimentaires ne sont pas repris dans les textes de loi. Des règles relatives à l’habillement existent encore dans les écoles, mais c’est une exception. Désormais, il n’existe plus de lois réglementant l’habit selon la catégorie sociale à laquelle on appartient. Néanmoins, dans l’imaginaire collectif, les vêtements peuvent marquer ou indiquer la respectabilité de la femme, sa pudeur. Le manque de pudeur serait ainsi directement lié à une disponibilité sexuelle.

Mais dans la Rome antique, c’était quoi s’habiller comme une prostituée ?

La société romaine était hautement codifiée. Cela valait également pour les vêtements et autres attributs qui marquaient explicitement le statut social d’une personne. Les prostituées étaient ainsi immédiatement reconnaissables par leur tenue[1]. Il était en effet primordial de savoir au premier coup d’œil si l’on était face à une femme de bonnes mœurs ou une femme notée d’infamie comme une prostituée. Cette différence vestimentaire permettait de protéger la pudor de la matrone de toute offense, comme l’indique le droit :

Si quis virgines appellasset, si tamen ancillari veste vestitas, minus peccare videtur : multo minus si meretricia veste foeminae, non matrum familiarum vestite fuissent. Si igitur non matronali habitu doemina fuerit, et quis eam appellavit, vel ei comitem abduxit, iniuriarum tenetur.

« Si quelqu’un s’adresse à des jeunes filles, mais qu’elles sont vêtues de vêtements d’esclave, il paraît faire une moindre faute : et beaucoup plus petite si elles furent habillées comme des prostituées et non comme des mères de famille. Donc si une matrone n’avait pas l’apparence d’une femme de bonnes mœurs, et que quelqu’un s’est adressé à elle, ou aura emmené sa compagne, n’est pas tenu de l’action d’injure. »

Digeste 47, 10, 15, 15 (Ulpien)

Cela montre également que les prostituées avaient des habits propres à leur position (meretricia veste). Leur tenue vestimentaire, ainsi que leur coiffure ou leurs attributs décoratifs, était un signe distinctif de leur condition. Le droit romain, s’il évoque cette différence, n’explicite pas ces attributs, même de manière allusive. Tout ce que l’on sait, c’est que les prostituées ne sont pas vêtues comme les matrones ni comme les esclaves. À l’inverse, la littérature nous renseigne abondamment sur les habits des femmes romaines.

Plusieurs textes nous fournissent des détails sur les vêtements portés par les matrones, souvent cités en opposition de ceux que devraient porter les prostituées :

« C’est pourquoi tu la conduiras chez toi habillée comme une matrone, elle aura la tête coiffée, et les bandelettes de cheveux, et elle feindra être ton épouse. »

Plaute, Miles 791-793 [2]

« Loin d’ici, étroites bandelettes, insignes de la pudeur, et toi, long volant descendant à mi-pied. »

Ovide, Art d'aimer I, 31-32

Les matrones se caractérisaient par le port de la stola, une robe longue (vestis longa) et ample qui tombait sur les pieds et qui dissimulait les formes du corps. L’instita évoqué par Ovide est un ornement de la stola des matrones. C’est un volant cousu à la ceinture qui tombe jusqu’aux pieds. Les vittae sont des rubans pour cheveux caractéristiques de la tenue des femmes libres de naissance. Le corps de la matrone est entièrement dissimulé, les bras comme les jambes. Elles devaient également porter un voile dès qu’elles quittaient leur demeure. Des matrones, on ne voyait que le visage.

Si les textes juridiques ne font pas mention de l’obligation de matrones de porter la stola, un texte de l’auteur chrétien Tertullien (IIe siècle) évoque une mesure remontant au début de l’Empire qui obligerait les femmes respectables à se vêtir en accord avec leur statut et leur pudor. Tertullien, qui est l’un des pères de l’Église d’occident, est le premier auteur chrétien de langue latine.

Converte et ad felinas. Habes spectare, quod Caecina Severus graviter senatui impressit, matronas <s>ine stola in publico ; denique Lentuli auguri[i]s conul[i]tis, quae ita sese exauctorasset, pro stupro erat poena, quaniam quidem indices custodesque dignitatis habitus ut lenocinii factitandi impedimenta sedulo quaedam desuefecerant. At nunc in semetipsas lenocinando, quo planius adeantur, et stolam et supparum et crepidulum et caliendrum, ipsas quoque iam lecticas ac sellas, quis in publico quoque domestice ac secrete habebantur, eieravere. Sed alius extinguit sua lumina, alius non sua accendit : aspice lupas, popularium libidinum nundinas, ipsas quoque iam f<r>ictrices, et si praestat oculos abducere ab huiusmodi propudiis occisae in publico castitatis, aspice tamen vel sublimis : iam motronas videbis.

« Maintenant jette les yeux sur les femmes. Tu verras que Cecina Sévère représenta vivement au Sénat que les matrones ne devaient point paraître en public sans la stola traînante. Enfin, le décret de l’augure Lentulus punit comme adultère celle qui passerait outre. Loi pleine de sagesse ! Quelques matrones romaines avaient répudié à dessein ces vêtements témoins et gardiens de la pudeur parce qu’ils étaient un obstacle à leur dissolution. Mais aujourd’hui, corruptrices d’elles-mêmes, afin qu’on les aborde avec plus de liberté, elles ont proscrit la robe flottante, la ceinture, la pantoufle, le voile, et même la litière et le siège avec lesquels elles étaient toujours dans une sorte de retraite, et comme enfermées chez elles, même quand on les portait en public. Mais l’un éteint son flambeau, l’autre allume un flambeau qui n’est pas le sien. Regarde ces louves qui vivent de la lubricité publique, et ces courtisanes elles-mêmes qui font de l’artifice un trafic ou plutôt, si tes yeux ne doivent pas même s’abaisser sur ces repaires où la pudeur est immolée au grand jour, contemple-les, quoique de loin, tu y rencontreras des matrones. Et lorsque la prêtresse de ces cloaques porte des étoffes de soie ; lorsqu’elle couvre de perles sa gorge plus impure que le lieu même ; lorsqu’elle ajuste à ses mains souillées des plus abominables impuretés, des bracelets que les femmes pudiques ne voudraient pas usurper sur les héros auxquels on les donne pour récompense ; lorsque enfin elle attache à une jambe déshonnête un brodequin blanc ou des mules de pourpre, pourquoi n’arrêtes-tu point les yeux sur ses ornements, ou sur ceux qui appellent la religion au secours de leur nouveauté ? »

Tertullien, Sur le manteau IV, 9 [3]

Tertullien fait, dans ce texte, preuve d’une grande connaissance juridique. L’événement qu’il rapporte daterait du règne de Tibère. Une femme qui apparaissait en public sans la stola était condamnée pour stuprum. On peut dès lors considérer que la lex Iulia de adulteriis abordait la question de l’habillement et spécifiait certains habits comme étant propres aux matrones et en interdisait le port aux prostituées. Cet aspect de la loi ne fut pas conservé dans les textes ultérieurs.

Dans un autre texte, Tertullien évoque également une loi (probablement la Lex Iulia de adulteriis coercendis) qui aurait défendu les prostituées de revêtir la stola et les aurait obligées à porter la toga.

« Quoi en effet de plus scandaleux que de voir des femmes chrétiennes, prêtresses augustes de la pudeur, étaler le luxe impudique des courtisanes ? Quelle différence alors vous séparera de ces victimes de la prostitution publiques, aujourd’hui surtout que la dépravation humaine, montant de degré en degré, et se jouant des lois qui interdisaient à ces misérables les ornements de la matrone et de l’épouse, les a égalées aux femmes les plus illustres sans qu’on puisse les distinguer les unes d’avec les autres ? »

Tertullien, De la toilette des femmes 12, 2 [4]:

Il est ainsi défendu aux prostituées de porter la stola et d’autres attributs des matrones, elles devaient porter la toga muliebris. Sans surprise, la toga des prostituées n’est pas celle caractéristique des citoyens romains. Cette dernière était en un habit purement masculin. Or, une prostituée va à l’encontre de la pudor de son sexe. En cela, elle se comporte comme un homme. Le port d’une toga, bien que différente de celle des citoyens, serait alors un travestissement symbolique. La toge féminine était synonyme d’infamie et d’indignité. Elle était également portée par les femmes condamnées en jugement public pour adultère.

La toge est un vêtement qui couvre, un vêtement de dessus. La toga était donc portée en lieu et place du manteau habituel des femmes respectables. La toge féminine différait visuellement de la toge virile. Cette dernière était pura, c’est-à-dire non teinte, blanche. La toga des prostituées était vraisemblablement pulla, de couleur foncée (brune ou noire). Toga pouvait également désigner la prostituée par métonymie.

Si la toga est révélatrice des mœurs de celle qui la porte, la tunique (vêtement de dessous) est également un indicateur du statut de celui qui la porte. La tunique portée par les prostituées ne descendait pas au-dessous du genou, exposant leurs jambes. Elle était habituellement de couleur vive et diaphane. Elles semblent adeptes des tissus de Cos (en soie), qui exposent leur corps. Ces tissus légers et fins soulignent le corps de la femme, comme si elle était nue. On retrouve dans l’Epidicus de Plaute une énumération des divers tissus et couleurs arborés par les prostituées :

Quid istuc tam mirabile est ?
Quasi non fundis exornatae multae incedant per uias.
At tributus quom imperatus est, negant pendi potis.
Illis quibus tributus maior penditur pendi potest.
Quid istae quae uestei quotannis nomina inueniunt noua ?
Tunicam rallam, tunicam spissam, linteolum caesicium,
indusiatam, patagiatam, caltulam aut crocotulam,
supparum aut subnimium, ricam, basilicum aut exoticum,
cumatile aut plumatile, carinum aut gerrinum, gerrae maxumae.
Cani quoque etiam ademptumst nomen.

Qu’y a-t-il de si étonnant ?
Bien de ces filles parcourent les rues en portant sur elles
Des domaines et des propriétés
Quand il faut payer l’impôt, on refuse, impossible, on n’a pas de quoi Elles, qui vous taxent bien plus lourdement, sont payées rubis sur l’ongle Ces filles, chaque année, ont des mots nouveaux pour de nouvelles tenues Il y a la tunique rasée, la tunique feutrée, le lin vert amande
La camisole, la tunique à franges, la tunique jaune souci
Ou jaune safran, le voile jaune perroquet ou jaune perruche
Le royal, l’exotique, le tissu couleur d’écume ou de duvet
Tissus ocre ou tissu blond et autres futilités dorées
Elles ont même pris son nom à un chien, pauvre loulou

Plaute, Epidicus 225-232 [5]

Ces codes vestimentaires s’étendaient également aux chaussures. Elles ne pouvaient pas porter des brodequins (calceus), mais porter des sandales (crepida) ou des sabots (solea). La nudité des pieds était un autre indice du statut de la femme.

Et c’est cela qu’il faut retenir en un sens : une femme dénudée, qui exposait son corps aux regards de tous était forcément une prostituée. Le vêtement faisait véritablement la personne.  

Cette dissimulation des corps féminins au désir des hommes n’est pas exclusive à l’Antiquité, et existe encore. Que ce soit dans des religions, ou dans l’esprit de certaines personnes. Qui n’a jamais entendu des hommes, et même parfois des femmes, dire qu’une épaule ou une cuisse dénudée les empêchaient de se concentrer ? Sans compter le célèbre « elle l’avait bien cherché ! », faisant référence à la tenue de femme agressée. On voit qu’encore aujourd’hui une femme qui révèle son corps peut être perçue comme cherchant et souhaitant le désir masculin. Mais un habit n’est pas, ou je devrais plutôt dire n’est plus, un signe de disponibilité sexuelle de la femme. Et ne devrait jamais l’être.


[1] Au sujet des prostituées, voir notamment : M. NAPPI, Professionnelles de l’amour. Antiques et impudiques, éd. Les Belles Lettres, Paris, 2009.

[2] Sauf mention contraire, toutes les traductions sont tirées de la C.U.F.

[3] Tertullien, Sur le Manteau IV, 9, Éditions du Cerf, Paris, 2007.

[4] Tertullien, La toilette des femmes, Éditions du Cerf, Paris, 1971.

[5] in Plaute, Théâtre complet, trad. Florence Dupont, Les Belles Lettres, Paris, 2019. 

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