Mètis – Mauvais garçons de Paris et d’ailleurs (II)

Média :
Image :
Texte :

Tous les mois, Michel Casevitz (professeur émérite de philologie grecque) traite d’une étymologie susceptible de présenter un intérêt méthodologique pour saisir le véritable sens d’un mot français ou en rectifier l’étymologie généralement admise.

 

Dans notre chronique précédente, nous avons traité, après une visite rue de Lappe à Paris, près de la Bastille, de quelques mots désignant les mauvais garçons. Il nous reste à examiner, dans la liste que nous avions donnée, quelque quinze noms : par ordre alphabétique (adopté faute de mieux), aigrefin, apache, arsouille, bagarreur, canaille, crapule, filou, fripouille, gouape, loulou, malandrin, malfrat, nervi, pillard, pilleur, racaille, sbire, séide, truand. À quoi nous ajouterons encore hooligan.

Un aigrefin, mot apparu vers la fin du 17ème siècle, désignait d’abord « un officier de mauvaise mine » (cf. TLF, s.u.) et c’est aujourd’hui un escroc, habile et rusé (il a pu être adjectif au sens de « rusé »). À l’origine le nom du poisson vorace, au corps mince et à la grande bouche, l’églefin (connu en français depuis le 14ème s. sous la forme egreffin, puis esclefin, emprunté au néerlandais schelvisch, avec déformation de la finale et influence d’aigle pour l’initiale). La forme aiglefin a semblé populaire et aigrefin plus correct. P. Guiraud dans le Dictionnaire des étymologies obscures (Paris, 1982, s.u aigrefin, p. 42-43) prétend (contre Bloch-Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française, 6ème éd., Paris, 1975) que le mot appartient à la famille de griffer « ravir, emporter » : cela n’emporte pas la conviction.

L’ethnique apache a été employé par des journalistes parisiens au début du 20ème siècle pour désigner « la pègre des boulevards extérieurs [de Paris] » et dans les grandes villes (cf. TLF s.u.). Les Apaches, tribu d’Amérique du Nord, se distinguaient par leur ardeur guerrière et leur férocité ; eux-mêmes se donnaient le nom de Tideh, ou N’de, signifiant « le peuple », mais les Zunis, Indiens aujourd’hui au Nouveau-Mexique les ont appelés Apaches, mot signifiant ennemis.  En France, on désigna ainsi les malfaiteurs qui ne reculaient devant aucun mauvais coup. Le mot est aujourd’hui désuet et son emploi est plutôt ironique, pour évoquer un personnage caricatural de mauvais garçon.

Un arsouille (mot d’argot populaire, attesté depuis la fin du 18ème s., adjectif ou substantif masculin ou féminin) est un voyou, dépravé, dévoyé, dans ses manières, son allure et son parler. À l’origine la notion de souiller, souillon, souillard (cf. Guiraud, op.cit. s.u. arsouille, p. 51), peut-être à partir du nom latin solium, -ii, « trône, baquet, baignoire », qui a fourni en ancien français soil, suil >  souille « bourbier » (attesté au 16ème s.), en particulier « bourbier où se vautre le sanglier » (attesté au 17ème s.), synonyme de bauge. Mais la formation de l’initiale du mot arsouille n’est pas claire ; la finale -ouille semble dépréciative, comme on voit dans fripouille, comme le suffixe -aille dans canaille et racaille.

Un bagarreur, féminin bagarreuse (adjectif ou substantif, familier, attesté depuis le premier tiers du 20ème siècle), c’est quelqu’un qui cherche et aime la bagarre (mot attesté depuis le 17ème s.), c’est-à-dire le combat confus et tumultueux entre personnes ou nations. Aucune étymologie n’est sûre pour bagarre : le TLF indique un « probable emprunt » au provençal bagarro,, qui serait une adaptation du basque batzarre, mais d’autres hypothèses ont été proposées, sans qu’aucune paraisse vérifiée.

Une canaille (mot attesté à partir du 15ème siècle, substantif féminin et adjectif)) a d’abord signifié « le bas peuple », collectif, puis la personne malhonnête (puisqu’on ne prête qu’aux pauvres les mauvais comportements) et c’est le sens actuel ; le mot est emprunté à l’italien canaglia (de cane « chien », provenant du latin canis,-is, avec suffixe dépreciatif - aglia) « bande de chiens ». Canaille a remplacé l’ancien français chienaille.

La crapule (mot attesté depuis le 14ème siècle) est à l’origine une ivrognerie, un excès de vin, puis le mot a désigné toute espèce de débauche puis, à la fin du 18ème siècle, tout débauché, libertin. Le sens de débauche est vieilli, l’emploi pour le collectif aussi ; aujourd’hui, une crapule est une personne malhonnête, quel qu’en soit le sexe. Le mot a pour origine le latin crapula « excès de vin », emprunté au grec κραιπάλη,-ης [kraipalè, -ès] « abus de boisson, mal de tête donné par cet abus » (cf. P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, histoire des mots, Paris, 2ème éd. , Paris, 2009 [DÉLG], s.u. ; voir aussi J. Taillardat, « Latin crāpula, grec κραιπάλη et la date de la loi d’Osthoff en grec », Lalies 5, 1983, p. 75-87).

Un filou (mot attesté depuis le 16ème siècle) est, dans le langage familier, un voleur habile et rusé, l’équivalent de l’anglais pickpocket ; le sens précis est aujourd’hui vieilli, le filou est aujourd’hui un trafiquant, un escroc. Dérivés d’usage courant : le féminin filouteuse, le verbe filouter, la filouterie, acte de filou ou de filouteuse. On dit d’ordinaire que le mot est « la forme dialectale de fileur, dérivé de filer dans le sens de tramer » (Bloch-Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française, 6ème éd.. Paris, 1975, s.u.) ; comme le mot évoque un personnage qui sait voler en s’esquivant promptement, on pourrait penser à celui qui file (comme… un voleur ou … à l’anglaise), qui veille à s’enfuir pour échapper à toute poursuite (cf. le TLF s.u. filer, B 2 b, à l’origine le latin filare « étirer en fil »).

Une fripouille (mot attesté depuis la fin du 18ème siècle) désigne l’ensemble « des gens de rien » (cf. le TLF s.u.) et, depuis le début du 20ème siècle, l’individu dénué de sens moral, qui agit en toute illégalité. C’est glosé tantôt par bon à rien, tantôt par vaurien, tantôt par misérable (ibid.). Le mot est probablement dérivé de la fripe « guenille, chiffon » (sens vieilli ; existait aussi en lorrain frapouille, synonyme de fripe), et « individu sans valeur. » À l’origine, peut-être, le latin faluppa,-ae, « brindille, fétu de paille » (cf. TLL, s.u. : « mot sans doute non latin »), qui a fourni le verbe friper « chiffonner » (cf. aussi Bloch-Wartburg, op. cit, p. 278); le suffixe -ouille indique la dépréciation (voir supra, arsouille).

La gouape (attesté depuis le 19ème siècle) est un mot familier (plutôt que d’argot), emprunté à l’argot espagnol guapo  « rufian, coupe-jarret »  (cf. TLF s.u., citant A. Dauzat, Études de linguistique française, 2ème éd. Paris, 1946, p. 283) ; le mot a été emprunté, semble-t-il, au français du Nord, ancien picard vape, wape ou gape « fade, frelaté, insipide ». Le mot provient du latin vappa « vin éventé » et, par métaphore, « homme blâmable » (cf. Ernout-Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, histoire des mots, 4ème éd. revue, Paris, 2001, s.u.) ; vappa, mot populaire expressif (comme le montrent le vocalisme radical a et la consonne géminée), est peut-être en rapport avec vapor,-oris, vapeur.

La fin de la liste est encore à voir ! Les mauvais garçons ne sont pas encore tous nommés…

Dans la même chronique