Tous les mois, Michel Casevitz (professeur émérite de philologie grecque) traite d’une étymologie susceptible de présenter un intérêt méthodologique pour saisir le véritable sens d’un mot français ou en rectifier l’étymologie généralement admise.
Voilà qu’avec l’automne on reparle de la prolifération des algues vertes sur les côtes de Bretagne. Cette nouvelle invite à préciser le vocabulaire qui désigne diverses plantes aquatiques et dont l’origine est variée. Il y a de très nombreuses espèces d’algues, aux noms souvent empruntés à des cultures qui les estiment depuis longtemps (par exemples wakamé, nori, hijik, kombu, etc.) ; nous ne traitons ici que de quelques-unes, présentes sur nos côtes (et peut-être traiterons-nous ultérieurement des sargassses).
Commençons par le mot générique : algue, attesté depuis le 16e siècle, désigne une plante marine cryptogame, de différentes couleurs (il y a de très nombreuses espèces d’algues, certaines croissant dans l’eau douce). Le mot provient du latin alga,-ae, fém. (Pline, Virgile, Horace) et il a été aussi employé par les poètes au sens figuré de « chose de peu de valeur ». L’origine du mot latin est obscure et les rapprochements qui ont été tentés (par exemple sanskrit rjisah « visqueux », norvégien ulka « moisi ») ne sont pas convaincants (cf. Ernout-Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, histoire des mots [DELL], 4ème éd. revisée, Paris, 2001, s.u.) ; « un mot de ce genre a toutes chances de n’être pas indo-européen » (ibid.). À noter qu’en grec moderne, algue se dit φύκη [phukè] ou φύκος [phukos], mot qu’on retrouvera infra.
Le varech, attesté depuis le 12e siècle (où marin werec traduit en prose le latin alga), est le mot le plus commun pour désigner l’algue. Le sens premier est « ce qui est rejeté par la mer » (et autrefois, rappelle le dictionnaire Littré, s.u., le droit de varech permettait « de s’emparer de tout ce qui est rejeté par la mer sur les côtes ». Le mot provient du mot nordique vágrek « débris, épave rejetée. »
Le goémon, attesté depuis le 14e siècle sous la forme goumon, est emprunté au breton gouemon ; il désigne le varech qu’on utilise ou l’engrais fait avec le varech. Le dérivé goémonier (depuis le début du 20e siècle) désigne le bateau ou l’homme qui récolte le goémon pour en faire de l’engrais ou des produits chimiques industriels. Le goémon n’est pas à confondre avec le guano, engrais provenant des excréments d’oiseaux marins (mot emprunté à l’espagnol, qui l’a emprunté au quechua et aymara huanu « engrais, fumier », cf. TLF s.u.).
Parmi les noms désignant les diverses algues, nous en citerons seulement trois, plus intéressants : L’ulve est une algue verte (le mot est attesté depuis le 18e siècle), dont le nom provient du latin ulva « herbe des marais, ulve » (il y a un adjectif dérivé, ulvōsus « couvert d’ulves ») ; comme pour d’autres algues utiles, le nom donné par le consommateur est différent : l’ulve consommée en salade est appelée laitue de mer (car la forme de ses feuilles est semblable).
La laminaire, mot attesté depuis le 19e siècle, est une algue brune aux « feuilles en forme de rubans longs et aplatis » (Trésor de la langue française informatisé [TLF], s.u.) ; le mot est un dérivé savant du latin lāmina (lammina, lamna), « mince pièce de bois, de métal, de laine, etc., morceau, lingot » (cf. aussi lame) ; par extension, lamina a désigné, selon le DELL, s.u., « tout objet plat et mince »; c’est « un terme technique, d’origine obscure ; sans doute emprunté » (ibid.).
Le fucus, attesté depuis le 16e siècle, est une grande algue généralement brune dont on connaît plusieurs dizaines de sous-espèces ; le mot provient du grec φῦκος,-ους [phucos,-ous], neutre, via le latin fūcus, -i, masculin, attesté chez Pline ; il désignait l’algue, ou la teinture rouge qui en est extraite ; comme le mot était employé pour désigner le colorant, la plante avait été appelée fucus marinus ou maris. En français, le dérivé fucacées désigne la famille d’algues ayant le fucus pour type. Le singulier désigne une algue de cette famille ; la fucoïde (attesté depuis le 19e siècle) désigne une algue fossile. Sur les plateaux de fruits de mer, laminaire et surtout fucus sont des garnitures usuelles. Signalons encore que le fucus est à la base des fameuses « dragées Fuca », à vertu laxative.
Les algues sont à la mode, et même si elles sont connues depuis belle lurette dans les médecines traditionnelles, l’industrie contemporaine les redécouvrent en Occident et on leur prête des effets miraculeux dans bien des domaines. Dans l’alimentation, la pharmacie, la cosmétique, dans la chimie des colorants, dans les carburants, le textile, l’algue est partout, de l’agar agar et autre carraghénane au biodiésel, des régimes amaigrissants aux cosmétiques riches en bienfaits régénérateurs de l’océan (une marque bretonne porte même le nom d’Algologie) ; l’algue est partout, même sur la table des grands chefs.
Et pour revenir à notre point de départ, si les algues prolifèrent sur nos côtes, polluent et donc inquiètent, elles sont utilisées comme bio-filtres pour traiter les eaux usées ou capter les engrais avant qu’ils n’atteignent les cours d’eau : l’algue est … la meilleure et la pire des choses.
Un détail amusant : outre la marque Algologie, il y a deux mots communs algologie, l’un provenant du latin, l’autre du grec ; l’algologie ou phycologie est la science des algologues qui sont des botanistes spécialistes des algues. Mais il y a aussi une algologie qui est la discipline des savants étudiant la douleur : en grec, ἄλγος,-ους [algos,-ous], neutre, signifie « douleur, souffrance ». Ainsi dans l’industrie, on peut trouver de nouveaux algologues, qui transforment des algues, peuvent dire qu’ils calment les douleurs en produisant des baumes ou des onguents : les deux algologie peuvent se confondre dans l’esprit moderne.